RCA
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Posté le: Lun Oct 13, 2008 7:16 pm Sujet du message: Jussie |
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Texte emprunté sur le forum de l'UNCM, avec l'aimable autorisation de l'auteur bien entendu (David Léger).
http://uncm.forumactif.com/forum.htm
Cela fait plus d'un siècle et demi que la Jussie (Ludwigia sp.) est apparue en France. Jadis importée du Brésil et cultivée en tant que plante d'ornement pour les bassins, elle a trouvée sur le réseau hydrographique français des conditions sans cesse plus adaptées à son développement et à son expansion: des eaux de plus en plus chaudes et riches en nutriments (nitrates, phosphates, azotes, etc...), des réseaux de développement lui permettant de rapidement investir de nouveaux bassins (canaux, fossés d'irrigation) et surtout une indolence quasi-totale de la part des usagers de l'environnement qui ne voyaient au final en elle qu'une jolie petite fleur jaune. C'était oublier un peu vite que sous cette fleur, il n'y avait pas moins de 6m de tige aquatique ramifiée qui lentement et surement étouffait le monde aquatique! Enracinée le long des berges, la jussie a proliféré, profitant de sa formidable capacité d'adaptation pour depuis une vingtaine d'année conquérir dans de plus en plus d'endroits de l'hexagone la moindre poche d'eau, même temporaire!
Répandant à la surface son épais feuillage (la partie aérienne peut faire 80cm de haut), elle coupe l'eau de tout échange avec le soleil, étouffant la végétation locale et transformant en véritable tombeau le monde aquatique condamné dès lors à une nuit sans fin. Tous les substrats lui conviennent: la vase, le sable, et même les enrochements pourvu qu'elle puisse y faufiler ses racines... Des racines qui chaque année donnent naissance à de nouveaux pieds si elles ne sont pas entièrement arrachées, à l'instar de ses tiges constituant des milliers de boutures potentielles si elles venaient à être coupées (par les animaux, les bateaux, les lignes de pêche, etc...). Sa formidable capacité d'adaptation ne semble pas avoir de limite: si l'eau ne lui convient plus (ou si cet élément venait à disparaître en surface), elle devient terrestre, se contentant d'enterrer encore plus profondément ses racines. Insidieuse, elle peut passer parfaitement inaperçue pendant des années puis soudain littéralement exploser à la faveur d'un été aux conditions un peu « différentes ». Je mets ici volontairement des guillemets car nul encore aujourd'hui ne comprends vraiment tout le potentiel de cette plante, ce qui sous-entend fatalement que nul aujourd'hui ne sais comment mettre un terme à une invasion qui prend de plus en plus des allures d'holocauste du monde aquatique...
Des études sont pourtant menées, par l'INRA, le CEMAGREF... mais rien n'y fait! Quand une solution semble apparaître, aussitôt la plante se joue du scientifique et lui envoie au visage un contre exemple, gifle ironique s'il en est pour nous autres humains qui, ne l'oublions pas, avons été suffisamment stupides pour être à l'origine de ce drame écologique en ouvrant notre porte entre autre à cette plante (on en compte plus de 16 différentes en France, en ne comptant que celles liées aux zones humides)! Reste alors la solution du curatif, ou plutôt du palliatif devrais-je dire... C'est à dire arracher, nettoyer, « débroussailler »! Et à ce jeu là, aussi inégale que soit la lutte, rien n'est aisé! La tache est énorme, ponctuellement, mais aussi récurrente car en dépit de l'énergie fournie il est utopique de croire qu'une eau sera définitivement débarrassée de l'envahisseur. Il faudra donc, encore et encore, recommencer. Cela réclame de l'argent, -car dans notre société tout passe à un moment ou à un autre par là-, afin de donner les moyens d'une lutte armée. Cela réclame aussi des bras pour porter ces armes... Et malheureusement, pour l'un et l'autre de ces impératifs, la matière première se fait rare, beaucoup trop rare...
Certains pourtant osent le combat, et se donnent les moyens d'une lutte à la hauteur de leur désespoir! Ce fut le cas des 300, pour reprendre une analogie vis à vis d'un film dont la symbolique semble opportune, qui se sont déplacés le 27 septembre dernier pour un coup d'éclat dans un marais morbihannais à l'agonie... Près de la Gascilly, la fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique alertée par l'AAPPMA locale (Mortier de Glénac) a fourni les bras, et le conseil général les budgets. Ainsi, plus de 300 bénévoles se sont retrouvé à l'aube pour donner de leur temps et de leur sueur afin de redonner vie à une zone humide devenue « sans visage »: des pêcheurs amateurs à la ligne, des pêcheurs amateurs aux engins, des chasseurs et quelques (trop) rares écologistes se sont uni ce jour et ont nettoyé, arraché, déraciné, à pied ou en bateau, plusieurs dizaines de mètres cubes de jussie. Un travail « de fourmi » comme l'ont avoué certains, venant parachever le gros ouvrage des jours précédents entrepris mécaniquement. En tout 2000m3 de plantes envahissantes auront été enlevées...
Pour être aussi efficace que possible il ne suffit pas de retirer la plante en surface... Encore faut-il récupérer les racines parmi la vase et les sédiments!
Éreintés, les participants auront à leur actif l'honneur d'avoir témoigné d'une indéniable urgence vis à vis de laquelle il était grand temps d'être acteur, une urgence que de toute évidence certaines sociétés de pêche ont enfin réalisée, que les élus locaux n'ignorent plus; Une urgence face à laquelle les forces vives d'un département se sont engagées à agir! Alors oui, le permis de pêche dans le Morbihan est plus cher, mais chaque adhérant peut récupérer la différence simplement en participant à ce genre d'opération, ce qui marche très bien depuis 20ans! (un millier de participants en l'an 2000!)... Alors oui, le conseil général a moult autres impératifs, mais il s'est quand même engagé à débloquer des fonds pour contribuer encore plus efficacement à la lutte notamment mécanique contre les plantes invasives, et pas seulement sur les réseaux navigables (ndlr: 500,000€ en 2008)... Ce qu'il faut retenir de cette opération, ça n'est pas le fait que cela aura été un énième coup dans l'eau (car inexorablement la jussie reviendra), mais le fait qu'en attendant une solution durable, LA solution, des hommes se sont unis pour organiser une résistance cohérente tout en montrant aux yeux du monde que ce problème est à n'en plus douter celui de tout le monde. Et chez vous, ça se passe comment?
Et pour finir un petit aperçu "avant/après"...
Plus d'infos sur les plantes invasives:
David Léger |
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